Citron de Menton

Il est arrivé tard sur les marchés du nord de la Loire, mais il est là ! Ce fruit au parfum exceptionnel, dépourvu d’amertume, est beaucoup plus qu’un acidifiant pour les sauces : c’est un véritable partenaire culinaire.

Il n’y a que le français moderne pour désigner le citron par ce terme banal de botaniste (du latin citrus, agrume). Pour les autres langues indo-européennes, il faut remonter à la racine sanskrite nimbú qui, via le persan et l’arabe, a donné limone, lima, lemon, etc. Ainsi peut-on retracer le parcours du citron à travers l’espace et le temps.

C’est donc sur les contreforts du cachemire qu’il fut d’abord cultivé, puis en Chine, avant que la route de la Soie ne l’amène au Moyen-Orient.
Le citron (ou plus exactement le cédrat, fruit bosselé plus gros et plus doux que l’on utilise toujours pour faire des marmelades, des fruits confits et des liqueurs) était une des quatre plantes prescrites par le Lévitique pour être célébrées lors de la Fête des Tabernacles (Sukkhot). Aujourd’hui encore, les plaines de Palestine sont couvertes d’agrumes. 
Son importance culturelle et symbolique est également avérée en Grèce où il fut pourtant peu cultivé. Il semble que les Grecs aient reconnu en lui le fruit du mythique jardin des Héspérides, ces fameuses pommes d’or que Gaïa offrit en cadeau de noces à Héra, et qui conféraient l’immortalité. Le jardin était gardé par les filles du Géant Atlas et par un dragon à deux têtes. Un fruit précieux, donc…
C’est grâce aux Arabes que le citron conquit tout le bassin Méditerranéen, en commençant par l’Espagne et l’Italie. En France, il ne fut introduit que vers le 15e siècle, et ne connut le succès qu’au 18e, d’abord comme produit de beauté et remède contre le scorbut dans la marine (grâce à sa forte teneur en vitamine C). En cuisine, il ne remplacera le verjus qu’au 19e siècle.
Il est disponible toute l’année grâce aux importations d’Espagne, d’Afrique du nord, de Floride. Mais il subit parfois, avant d’arriver sur nos étals, nombre de traitements qui en altère le goût et rendent son zeste inconsommable.
En France, il est cultivé principalement sur la Côte d’Azur, et ceci depuis 1750. Dans les années 1930, il devient l’emblème de la ville de Menton, à une époque où la région est la première productrice d’Europe. Les Mentonnais le consacrent alors vedette de leur carnaval. Aujourd’hui encore, la célèbre fête du citron reste l’occasion d’admirer des motifs géants réalisés en agrumes. Les agrumiculteurs de la région mentonnaise cherchent à obtenir un label, voir une IGP (indication géographique protégée), qui serait méritée car le climat très doux, le sol calcaire et le savoir-faire local produisent sans doute le meilleur citron du monde : très parfumé, sans amertume, et de très longue conservation malgré l’absence de traitement phytosanitaire.
Le citron doit être acheté mûr, car il ne mûrit pas après cueillette. S’il n’a pas été traité, vous pourrez utiliser le zeste (râpé, en lanière ou en julienne, puis confit, séché au four ou nature). S’il est accompagné de ses feuilles, celles-ci peuvent être infusées dans l’eau ou le sirop, leur conférant un délicieux parfum citronné. Le jus d’un citron mûr est incomparablement subtil, et nécessite moins de sucre : l’acidité reste extrême (le pH du citron est le plus bas de toute l’alimentation humaine, y compris le vinaigre), mais elle est équilibrée par la saveur sans être renforcée par l’amertume.
Enfin, la pulpe du citron de Menton peut être utilisée comme un élément de la garniture aromatique, au même titre que l’ail ou l’échalote. Les quartiers d’un citron pelé à vif, posés sur un filet de poisson lors d’une cuisson au four, donnent un tout autre résultat que le banal trait de citron jeté au dernier moment dans la sauce. À cru dans une salade de fruits, sur une tarte ou un gâteau, ils équilibrent le sucre par une note de fraîcheur. Bref, c’est un fruit qui donne des idées !

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